C’était à prévoir. Dans un contexte anxiogène alimenté par des médias sur le mode “crise”, il fallait que, comme pour le 11-Septembre, la théorie du complot vienne mettre ses gros doigts dans la catastrophe japonaise. C’est un commentaire laissé sur mon billet précédent (consacré à l’hypothèse d’un méga-tsunami dans l’Atlantique) qui m’a mis la puce à l’oreille. Lefevre, un internaute, disait ceci (j’ai corrigé les fautes d’orthographe) :“Vous oubliez aussi les tsunamis causés par l’homme (Etats bandits, militaires, etc., voir Haïti et peut-être d’autres, et là on ne connait pas les limites).” Il ne m’a fallu que quelques secondes pour trouver, sur le site AboveTopSecret, repaire de nombreux conspirationnistes, ufologues et autres adeptes des sociétés secrètes, un texte dont le titre, en français, est “Le tsunami japonais a-t-il été créé par l’homme ?”
On sait depuis plusieurs années maintenant que certaines activités humaines (forages profonds ou lac de retenue d’un barrage, par exemple) ont la capacité deprovoquer des petits tremblements de terre, dont certains ne sont pas anodins. Mais de là à créer un tsunami, il y a un pas de géant. Il faut donc trouver autre chose, un déclic plus puissant… et rien de mieux que l’armée pour cela. Pour étayer ses soupçons, le texte en question mentionne une expérience militaire peu connue, menée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Néo-Zélandais avec la coopération de la marine américaine et de conseillers scientifiques britanniques : le projet Seal. Son but, provoquer un tsunami grâce à des explosions sous-marines bien calculées. Quand il s’agit de trouver de nouvelles armées pour battre l’ennemi, les militaires ne manquent pas d’imagination.
D’après le rapport final du projet Seal, aujourd’hui déclassifié, que je me suis procuré(attention, le fichier est “lourd” : 93 MB), l’histoire commence en janvier 1944, en pleine guerre du Pacifique, lorsqu’un officier de l’armée de l’air néo-zélandaise dit avoir remarqué que les explosions en mer provoquent parfois des vagues importantes. Très vite, germe l’idée d’utiliser l’océan comme une arme contre… le Japon (cela ne s’invente pas). C’est dans ce but qu’après des tests préliminaires effectués en Nouvelle-Calédonie, environ 3 700 expériences, classées secrètes, sont menées entre le 6 juin 1944 et le 8 janvier 1945 par le chercheur australien Thomas Leech près de la péninsule néo-zélandaise de Whangaparaoa. Leur objectif officiel : déterminer le potentiel d’“inondations offensives par des vagues générées au moyen d’explosifs”. Les charges utilisées vont de quelques grammes à 300 kg de TNT. Les essais à grande échelle ont lieu en mer et ceux à petite échelle dans un bassin de tests de 365 m sur 60 construit pour l’occasion.
Le projet Seal se termine de manière un peu abrupte, en janvier 1945, “avant, écrit Thomas Leech, que tout le programme expérimental soit complété et que les problèmes scientifiques fondamentaux soient résolus”. Deux raisons sont avancées dans le rapport : des désaccords avec les Britanniques qui n’y croyaient pas vraiment et la progression des Alliés dans le Pacifique qui force le Japon à lâcher ses conquêtes les unes après les autres. N’étant plus une priorité, Seal est donc stoppé. Ce qui n’empêche pas Thomas Leech de faire la liste de ses premières conclusions. Tout d’abord, affirme-t-il, le concept d’“inondations offensives” est validé. Les expériences ont permis de découvrir que, contrairement à ce que l’intuition suggère, ce n’est pas parce que les explosifs seront placés tout au fond de l’océan qu’ils seront le plus efficaces. La bulle créée par la déflagration transmettra mieux son énergie à la masse d’eau si elle est créée assez près de la surface, dans une zone appelée “la profondeur critique”. Autre enseignement, une bombe unique sera inefficace : il faut savamment répartir plusieurs charges pour “soigner” la géométrie de l’explosion et fabriquer un train d’ondes plus destructeur. Le chercheur australien, qui rédige ce rapport final en 1950, ne se prive d’ailleurs pas d’imaginer l’utilisation de plusieurs bombes atomiques pour un maximum de puissance…
Thomas Leech note toutefois que si l’on peut, à l’aide d’explosifs, obtenir la même amplitude d’onde que pour un tsunami d’origine sismique, la longueur d’onde est nettement plus courte. Selon le géophysicien américain Jay Melosh, spécialiste des cratères d’impact et qui s’est donc intéressé, à ce titre, au tsunami que pourrait engendrer un astéroïde tombant dans l’océan, ce point est crucial. C’est leur très grande longueur d’onde qui permet aux vagues des tsunamis de ne pas se “casser” en arrivant près des côtes, comme le font les vagues dues à la houle. Par conséquent, un tsunami provoqué par des bombes ne pénétrerait que peu à l’intérieur des terres. En revanche, il pourrait être dangereux pour tous les bateaux naviguant dans les zones côtières, en créant de fortes turbulences à cet endroit.
Donc, désolé pour tous les fans de complots, mais le tsunami du 11 mars n’est pas un monstre fabriqué par des militaires ou des terroristes. Et on ne peut pas plus incriminer, comme a pu le faire un internaute à l’humour douteux, la vengeance des cétacés contre le pays qui les chasse le plus.
Pierre Barthélémy
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