mardi 28 décembre 2010

Un prénom pour la vie


«Vous avez réfléchi au prénom ? » Le ventre de la future maman s’arrondit à peine, et déjà la question est posée. Qu’ils le taisent jusqu’à la naissance ou consultent leurs proches, la recherche du prénom va souvent occuper le couple durant une partie de la grossesse. La décision prise – parfois au prix de nombreux renoncements, moult négociations et d’ultimes revirements – est souvent la première d’une longue série de leur vie de parents. Se déterminer est d’autant plus difficile que la liberté accordée par la loi de 1993 permet de puiser dans un stock quasi illimité et laisse également une grande place à l’imagination.

Pourquoi ce choix est-il devenu un tel casse-tête ? D’abord parce qu’il s’agit d’une décision personnelle, dans laquelle la tradition familiale intervient de moins en moins. Il y a belle lurette que les enfants n’héritent plus de manière systématique – sauf en deuxième ou troisième place – du prénom de leurs grands-parents ou de leurs parrains, même si certaines familles chrétiennes, juives ou musulmanes prennent soin de puiser dans la tradition religieuse.

« Les grands-parents ont de moins en moins leur mot à dire sur le sujet. Aujourd’hui, c’est souvent la mère qui finit par prendre la décision finale », remarque Anne Gatecel, psychologue clinicienne. Pour Joséphine Besnard, sociologue, « il faut se souvenir que, jusque dans les années 1950, dans les écoles de garçons, on s’appelait par le nom de famille. Dans les entreprises, non seulement on ne se tutoyait pas, mais on se donnait du “Madame” ou “Monsieur”, suivi du patronyme… Tout cela a beaucoup évolué après les années 1970 et explique que le prénom est de plus en plus investi. »
L’envie de singulariser l’enfant que l’on veut unique
Derrière cette quête d’un prénom idéal se cache aussi l’envie de singulariser l’enfant que l’on veut unique. « Presque la moitié des lettres que je reçois commencent par la phrase : “Nous voulions un prénom à la fois rare et original” », confirme Agnès Ward, qui anime la page « Ronde des prénoms» d’Enfant Magazine et du site Enfant.com, où les jeunes parents – souvent les mères – racontent l’origine de leur choix et y confrontent leurs préférences.

« Les parents recherchent souvent un prénom à la fois doux, incisif et court… Ils sont aussi très créatifs et n’hésitent pas à opérer des fusions : récemment, un couple franco-portugais a créé Siméo en ajoutant une terminaison latine à Simon. Une petite Noéva a aussi vu le jour en mêlant Noémie et Maeva, les choix respectifs du père et de la mère. »

Ces parents qui innovent ne rejettent pas pour autant l’héritage familial, comme le raconte Giulia, une jeune maman : « Avant que ma mère ne nous quitte, je lui ai promis de prénommer ma fille Anna, en souvenir d’elle. Elle s’appelait Annie. Le papa a ajouté un H pour que notre bébé et lui aient les mêmes initiales. » La petite Hanna a désormais un prénom bien à elle, très chargé de sens.

Nommer son enfant, c’est aussi l’ancrer dans une histoire, une lignée. « Le choix d’un prénom en dit long sur les projections des parents et les valeurs qu’ils souhaitent transmettre à leur enfant. Lorsque je rencontre pour la première fois un patient, je lui demande d’où vient son prénom. La réponse en dit beaucoup sur lui-même et les circonstances de sa naissance », souligne Anne Gatecel.
"Le prénom est plus que jamais devenu un marqueur social"
Un point de vue confirmé par Joséphine Besnard qui observe que « le prénom est plus que jamais devenu un marqueur social. Il peut donner des indications sur son porteur, sa génération et sa classe sociale. Par exemple, il existe 160 000 Kevin en France, pour la plupart nés entre 1989 et 1994 et souvent issus des classes populaires. On sait aussi que les classes aisées donnent moins de prénoms importés des États-Unis ou à consonance latine. »

Des histoires de prénoms ? Il suffit d’évoquer le dernier-né de la famille ou du bureau pour en récolter à foison et susciter des discussions animées, tant certains choix paraissent incongrus, au point de se demander parfois « où ils ont été chercher une idée pareille ». Cette vague créatrice qui touche les familles françaises se retrouve aussi dans d’autres pays européens tels que le Royaume-Uni ou la Belgique où, en août dernier, un couple fan du FC Barcelone a défrayé la chronique en nommant son fils « Barça » (diminutif du club de football catalan).

Ce phénomène reste, en revanche, très limité outre-Atlantique, contrairement à ce que pourraient laisser penser les prénoms des stars américaines : les bébés du couple très médiatisé Angelina Jolie et Brad Pitt s’appellent par exemple Zahara, Maddox, Pax, Shiloh, Knox-Leon et Vivienne-Marcheline. « Les États-Unis ne connaissent guère de mode dans ce domaine. On n’y observe pas de grandes rotations et des petits garçons y sont appelés William avec une belle constance depuis une quarantaine d’années », dit Joséphine Besnard.

En revanche, en France, les prénoms subissent un cycle de vie bien connu des professionnels du marketing, qui adresseront une offre commerciale à une Valérie ou à une Nathalie pour cibler une quadragénaire et savent aussi que Gérard et Jeanine Dupont ont de grandes chances d’être retraités. Comment fonctionne ce cycle ? « Pendant longtemps, les classes aisées montraient le chemin de l’innovation. Au fil du temps, les prénoms se diffusaient vers le bas de l’échelle sociale. Ce modèle a volé en éclats dans les années 1980, lorsque la vague américano-celtique, soutenue par les feuilletons télévisés, a déferlé avec les Kevin, Ryan, Brandon et leurs innombrables orthographes. Puis la loi de 1993 a ouvert les vannes et permis d’en inventer. Aujourd’hui, les chemins de l’innovation ne passent plus par les classes aisées. Celles-ci récupèrent plutôt des classiques, tels que Paul et Charlotte », explique Joséphine Besnard.
"Le lien entre appréciation de son prénom et image de soi existe"
Paradoxalement, alors que de nombreux parents cherchent l’originalité, ils se retrouvent souvent autour de sonorités voisines et font tous ensemble des choix dans l’air du temps. C’est aujourd’hui le cas des prénoms bibliques, rétro ou médiévaux qui entament une jolie percée. Les Hortense et les Hippolyte sont cependant encore loin de détrôner les nombreux petits Lucas et Emma qui caracolent en tête du palmarès depuis le début du XXIe siècle.

« Le phénomène de mode est tel que les dix premiers prénoms le plus donnés aujourd’hui regroupent plus du quart des naissances. Pourtant, dans vingt ans, pas un seul de ces prénoms ne figurera dans les dix favoris. Il s’agit vraiment d’une spécificité française qui ne s’était jamais vue », observe la sociologue.

Reste à savoir si le « petit nom » façonne la personnalité de celui qui le porte... Si l’on ne peut que s’amuser des cartes vendues dans les magasins de souvenirs, décrivant les Marguerite mélancoliques et les Laurent audacieux, la question de l’influence d’un prénom intéresse les chercheurs en psychologie sociale, notamment aux États-Unis.

« De nombreuses recherches ont confirmé que le lien entre appréciation de son prénom et image de soi existe. Par exemple, des étudiants masculins avec un prénom peu commun expriment moins de sentiment d’infériorité et de timidité que ceux possédant un prénom plus conventionnel », signale Nicolas Guéguen, enseignant et chercheur en psychologie sociale à l’université de Bretagne Sud.

Faut-il alors privilégier la rareté ? Pas si sûr, car une autre étude montre qu’« un prénom commun est associé à plus de tolérance, de sympathie, de courage qu’un prénom singulier », observe Nicolas Guéguen. Autant de réponses qui plaident en faveur d’un choix porteur des rêves des parents, mais soigneusement mûri et raisonné. Un prénom qui permettra à l’enfant de se construire une belle identité, pour la vie.
Marie AUFFRET-PERICONE
Paru dans la croix

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