Voyage de noces ! La formule est joliment désuète, et sa raison d’être originelle peut apparaître aussi surannée : permettre aux jeunes mariés de faire mieux connaissance (quand l’union était arrangée en dehors d’eux), d’apprivoiser l’intimité des corps, d’engager leur vie conjugale hors de la maison familiale et des regards.
La réalité d’aujourd’hui a perdu ce sens-là, alors que la majorité des jeunes époux se sont choisis, vivent sous leur propre toit, et comptabilisent déjà plusieurs années de vie commune, voire un ou deux enfants. Voilà pour la noce. Côté voyage, même décalage : autrefois, quand le concept même de vacances était réservé à quelques privilégiés, et les déplacements difficiles, il s’agissait d’une expérience fondatrice, parfois unique occasion de quitter les limites de sa région, son pays.
Les voyages se sont démocratisés, et beaucoup de jeunes gens du XXIe siècle n’ont pas attendu leur mariage pour aller loin et partout, parfois ensemble. Pourtant… Selon un sondage BVA réalisé pour le Salon du mariage de Paris, 92 % des jeunes mariés partent en voyage de noces et 84 % d’entre eux le citent en tête dans leurs désirs comme cadeau de mariage. Loin devant les objets de décoration de la maison (47 %), le matériel hi-fi (35 %) ou les arts de la table (21 %). |
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"Accomplir quelque chose qui nous fait rêver" |
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Donc, on souhaite toujours partir en voyage de noces ! Pourquoi ? « Pour marquer le coup, être égoïstes ensemble », « accomplir quelque chose qui nous fait rêver, vivre un truc très fort ensemble», répondent Anaïs et Matthias, qui prendront le « Transmongolien » entre Pékin et Moscou, après leur mariage, en juillet prochain. « C’était important de partir juste après, pour garder l’esprit magique de la fête, et se retrouver enfin tous les deux seuls, pour parler, après une année de préparatifs, les tensions, le monde », expliquent Arnaud et Joséphine, mariés de 2008, qui se sont envolés pour Bali.
Comme si l’engagement, devenant plus rare et plus risqué, supposait une célébration plus grandiose, un « arrêt sur image » plus marqué. Catherine Cicchelli-Pugeault, sociologue, chercheur au Cerlis (Paris V Sorbonne), qui travaille sur les « processus de conjugalisation », le confirme : « Le mariage est de moins en moins obligatoire, dit-elle. Mais quand il y a mariage, c’est en grande pompe, et en toute tradition ; avec la volonté alors de démontrer son importance. Cela coûte tellement cher qu’il doit y avoir une valeur symbolique forte ! Et de la même façon qu’il faut tout “réussir”, sa vie, ses études, il faut aussi une fête de mariage réussie, dont fait partie un voyage de noces merveilleux ». |
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Un rite, un prolongement de la cérémonie |
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Le voyage de noces est devenu un rite, un prolongement de la cérémonie, et n’est plus réservé à une élite fortunée. Cause ou conséquence, il est devenu en même temps un segment de marché florissant dans l’industrie de la fête. Si le nombre de mariages recule, les fêtes de « pacs » compensent sans doute le manque à gagner, ainsi que les secondes unions, car les « remariés » ayant déjà vécu une lune de miel en veulent une autre toute différente, et plus belle bien sûr, avec un budget souvent plus confortable !
Les professionnels du mariage se sont fait aussi voyagistes, et les tour-opérateurs proposent tous dans leurs catalogues des « forfaits lune de miel », sur présentation du… certificat de mariage, avec avantages et réductions diverses, champagne, corbeilles de fleurs, « suite nuptiale »…
Si les jeunes mariés peuvent s’offrir de tels voyages, avec un budget de 2.000 à 3.000 € en moyenne, c’est grâce à l’émergence de la « liste de voyage », qui a largement remplacé ou complété la traditionnelle « liste de mariage ». Laquelle, destinée à aider les jeunes couples à s’équiper en vaisselle, housse de couette ou grille-pain, est devenue obsolète, lorsque ceux-ci, installés depuis longtemps, ont déjà « tout ».
« De plus en plus de jeunes couples, poursuit encore la sociologue, plutôt que de se faire offrir un service de porcelaine “pour toute la vie”, préfèrent un voyage, et de beaux souvenirs. Cela manifeste à mon sens une transformation de la logique du mariage : bien sûr, on espère qu’il durera toujours, mais on a parfaitement intégré que l’on pouvait aussi divorcer. Alors on valorise le plaisir immédiat, dans une société de culture hédoniste. Le voyage, au moins, se consomme tout de suite ! C’est aussi sans doute un élément de statut social, de représentation, qui met en valeur le couple, son originalité, ses goûts personnels. Mais il ne faut pas généraliser : cela concerne essentiellement les classes moyennes et supérieures, habituées aux voyages et aux vacances. Dans d’autres milieux, au contraire, on reste attaché à “ce qui dure”, et tout le reste n’est que gaspillage. Enfin, le voyage de noce n’est pas n’importe quel voyage, et même quelquefois hors de proportion avec les moyens des mariés : c’est une bulle luxueuse, sans contraintes matérielles, une parenthèse dans le quotidien. Il ne s’agit pas de découverte, du monde ou de soi-même, mais plutôt d’une autocélébration du couple».
Viennent ainsi, en tête des destinations, choisies par 60 % des jeunes mariés, les « îles paradisiaques », cocotiers-plages dorées-lagons bleus, situées, selon les budgets, aux Antilles ou aux Seychelles, aux Maldives ou en Polynésie… mais aussi d’autres plus mirifiques les unes que les autres, sans rapport avec les moyens financiers des jeunes couples.
Ces voyages, offerts souvent en grande partie par les invités du mariage, sont découpés en tranches par l’opérateur, pour concrétiser les cadeaux des donateurs : il est ainsi possible d’offrir au choix un billet d’avion, un dîner sous les étoiles du désert, une séance de plongée sous-marine ou de massage exotique. Que les jeunes mariés ne boudent surtout pas leur plaisir, qu’ils profitent de cette parenthèse enchantée, qu’ils rêvent ensemble, sans confondre pour autant la somptuosité du mariage avec son bonheur au long cours, ni obéir aux injonctions des catalogues, ni s’interdire non plus d’inventer d’autres façons, plus modestes, plus profondes, de le célébrer !
Guillemette DE LA BORIE
paru dans la croix |
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