La science est trop sérieuse pour ne pas être prise avec le sourire
. La chronique de Frédéric Lewino, journaliste auPoint.
Ma femme me fait beaucoup de peine. Oubliant tout ce qu'elle me doit, elle me crie parfois : "Hé Fred ! ramène ta fraise !" Jusqu'ici, bien élevé, j'obéissais sans piper mot. Mais, à partir d'aujourd'hui, je pourrai lui répondre : "Chérie, sais-tu que de merveilleux généticiens viennent de séquencer le génome de la fraise des bois ?" Force lui sera de constater qu'un journaliste scientifique aussi savant que moi mérite davantage d'égards.
Après l'arabette des dames, le riz, le blé, le maïs, la tomate, la pomme de terre, la vigne, le peuplier, la papaye, le concombre, le sorgho, la glycine, la pomme, c'est donc au tour du fraisier des bois de faire son coming out génétique dans la revue Nature Genetics. Il faut bien se dire que toutes les plantes agricoles y passeront à leur tour. L'industrie agroalimentaire a bien compris qu'en ayant directement accès aux gènes de nos fruits et légumes, elle pourra en faire ce qu'elle veut. L'industriel voudra-t-il des fraises plus grosses, plus résistantes aux maladies, moins périssables, plus rouges, plus parfumées ? Et que je te donne un tour de vis sur ce gène, que je me débarrasse de tel autre, ou encore que je t'en greffe un troisième provenant d'une espèce voisine. Dans quelques années, fabriquer une nouvelle fraise, mais aussi une nouvelle pomme ou un nouveau maïs, deviendra un jeu d'enfant et ne prendra plus que quelques années. Pour donner une idée du progrès offert par la génomique, signalons qu'il a fallu 60 ans d'hybridation pour créer la nouvelle pomme Ariane qu'on voit débarquer chez nos marchands de fruits.
Un génome riquiqui
Dans le pire de mes cauchemars, je me vois dans un supermarché, en train d'hésiter entre la fraise au goût de tarte au citron, la fraise à la pistache, la fraise saveur crêpe flambée au Grand Marnier, ou encore la fraise parfum praliné... Dieu merci, nous n'en sommes pas encore là. Pour revenir à la nouvelle du jour, un consortium scientifique américano-anglo-ibérico-français a donc mis 18 mois pour dépiauter le génome de la fraise des bois. Pourquoi celle-ci, et pas une des grandes variétés commerciales ? Pour la bonne raison que cette timide fraise possède un génome riquiqui : seulement deux jeux de 7 chromosomes. Tandis que toutes les autres possèdent un génome hypertrophié (jusqu'à huit jeux de 7 chromosomes), le fruit de 250 ans d'hybridations à tout-va.
Le séquençage n'a, en lui-même, que peu d'intérêt s'il n'est pas suivi par une identification de tous les gènes. Ce travail est en cours grâce à l'utilisation de marqueurs génétiques. Une tambouille un peu trop complexe pour que je vous l'explique ici. Je préfère insister sur un point fondamental : le séquençage d'un génome n'est pas réalisé dans le but exclusif de concevoir des plantes OGM. La connaissance du génome permet à l'agronome de repérer et de sélectionner bien plus rapidement et facilement les meilleurs gènes pour tel ou tel objectif (résistance à la maladie, arôme plus fin, fruit plus résistant...) Il ne s'agit pas d'introduire un gène d'une espèce voisine. Enfin, dans un premier temps...
Fructifiable
L'avantage du fraisier des bois, c'est aussi de posséder un cycle de reproduction (de graine à graine) très court, de 4 à 6 mois, permettant ainsi un travail de sélection rapide. "Autre avantage du fraisier, c'est qu'il fait partie de la grande famille des rosacées qui comprend le pommier, le pêcher, l'abricotier, le framboisier, le cerisier... ", explique Béatrice Denoyes-Rothan de l'Inra. "Donc, tout ce que nous pourrons apprendre avec la fraise des bois servira également à tous ces autres fruits."
Que c'est beau la génomique ! Dans le cas des plantes, mais aussi des animaux et de l'homme. Je rêve du jour où je pourrai intervenir sur le génome de ma femme pour qu'elle ne me dise plus : "Ramène ta fraise", mais plutôt : "Mon petit sucre d'orge, je te suivrai jusqu'en enfer"
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