vendredi 17 décembre 2010

Guess, une idylle américaine

La plus Frenchie des marques californiennes ? Guess, bien sûr, une entreprise née de la success story de quatre frères marseillais partis tenter leur chance à Los Angeles. Des quatre frères Marciano, seuls Paul, le boss, et Maurice, le financier, sont encore dans l'entreprise ; les deux autres, Georges et Armand, ont quitté l'aventure respectivement en 1992 et 2003.
Quand les frangins débarquent dans les années 80 du côté de Hollywood, ils flashent ! Normal, ils ne jurent alors que par Clint Eastwood et "Starsky et Hutch". Ils sont jeunes, ambitieux et rêvent de quitter la France, ses fonctionnaires des impôts si tatillons et son univers étriqué. Le rêve américain, ils y croient dur comme fer.
Depuis, la petite entreprise familiale, cotée à Wall Street en 1996, a fait son chemin. Et quel chemin ! Elle réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires de 2,3 milliards de dollars. Tout est parti de l'idée folle de vendre des jeans... à des Américains ! Gonflés, les Marseillais ! Mais les frères Marciano ont du bagou et plus d'un tour dans leur sac. Tombés très jeunes dans le commerce, ils vendaient des fringues pendant la saison estivale. À L.A., ils vont tout miser sur une spécialité française qui fait fureur sur la Canebière à l'époque : lestone-washed ou l'art de délaver les jeans avec des pierres volcaniques. En deux mois, ils ouvrent deux boutiques de jeans multimarques à Los Angeles.
Avant-gardistes
À l'époque, aux États-Unis, le jean est un vêtement basique qui peine à se renouveler. Les champions de la discipline, ce sont Levi's et Calvin Klein. "Tout le monde a essayé de nous dissuader d'y aller, mais on n'avait rien à perdre, alors on a foncé", se souvient Paul Marciano, le PDG, la cinquantaine. Guess fait mouche. Avec le fameux stone-washed, les Marciano renouvellent le genre. Puis ils imaginent des modèles couture plus moulants et introduisent le célèbre jean Marilyn, un denim 3 zips avant-gardiste qui fait un malheur auprès des fashion victims. Pas intimidés, ils en envoient quelques paires à Bloomingdale's, la célèbre chaîne de grands magasins américains. Les ventes s'envolent. La Guessmania est née.
Ironie de l'histoire, bien plus tard, en 1998, les Marciano retirent leurs articles des grands magasins pour protester contre des marges abusives. "Plus on vendait, plus on perdait d'argent, alors on a claqué la porte", se souvient Paul. Wall Street n'apprécie pas du tout et le cours de l'action dévisse de 32 à 3 dollars en quatre mois, 90 % de la valeur boursière s'envole en fumée. Pas de quoi décourager les Marciano, qui tiennent bon. Reviennent aux fondamentaux : le produit, la qualité, et très vite refont surface.
Grand écart
Jeans, jupes, robes, doudounes... le succès de la marque repose sur toute une galaxie de lignes, des plus décontractées (Guess) aux plus sophistiquées (Guess by Marciano). Un grand écart délicat à manier. Mais, apparemment, les Marciano savent faire. L'ex-marque de jeans est devenue une griffe de prêt-à-porter lifestyle pour femmes, hommes et enfants. Et les frères pensent très vite aux accessoires et produits dérivés, parfums, bagages et maroquinerie, lunettes, bijoux, sous-vêtements... Leur gros coup, ils le font avec des montres vendues de 49 à 3.200 dollars (toujours ce jeu entre le futile et le luxe). Le business de l'horlogerie confié à Timex en 1984 est très vite devenu l'un des plus florissants de la galaxie Guess. "Ça a marché de la folie furieuse !" s'enthousiasme Paul Marciano avec son restant d'accent pied-noir. L'entreprise empoche des royalties sur 1 milliard de dollars de ventes.
Pendant tout ce temps, la renommée de Guess va dépasser les frontières américaines grâce à une redoutable stratégie de communication élaborée par Paul, toujours lui, l'âme de la maison, même s'il en est le benjamin. Il s'improvise directeur artistique et monte des campagnes de publicité internationales sexy en diable. Les top-modèles du moment (Claudia Schiffer, Carla Bruni, Naomi Campbell...) s'affichent en tenue ultraglamour. Et en noir et blanc, alors que toutes les marques de mode ne jurent que par des photos couleur. Ces audaces se révèlent payantes car le buzz est planétaire, même si, à l'époque, Guess vend peu hors des États-Unis. Il faudra attendre les années 90 pour voir la marque débarquer en Europe. Un décollage vertical : depuis 2005, le chiffre d'affaires sur le Vieux Continent (800 millions de dollars en 2010) a plus que décuplé.
Trente ans de succès
On dirait que tout ce que touche un Marciano se transforme en or. Paul Marciano résume ses trente ans de succès : "Un rêve américain qui a bien tourné et s'est transformé en un business colossal." Résolument moins bling-bling et mégalomanes que Christian Audigier, un autre pur produit français ayant fait fortune dans la mode à Los Angeles, Paul et Maurice Marciano jouent la discrétion. Paul est un instinctif. Parmi ses livres de chevet, "Who Moved My Cheese ?", de Spencer Johnson. Il offre à ses nouveaux collaborateurs ce guide de management qui prône la capacité d'adaptation. Il prend même soin de surligner les passages importants et de corner les pages pour qu'ils ne perdent pas de temps !
C'est que, dans la maison Guess, pas question de croiser les bras. Quand la récente crise financière frappe, Paul Marciano, jamais à court d'inspiration, imagine le concept "And what if". Une méthode qui consiste à anticiper les retournements du marché. La chute du dollar et le krach boursier l'obligeront quand même à réduire les frais, supprimer les voyages non indispensables, stopper les embauches, geler les salaires et les bonus... "Les Américains sont des gens solidaires, ils acceptent ce genre de sacrifices plus facilement", reconnaît Paul Marciano. Mais attention, tandis qu'il réduisait la voilure, il n'a jamais sacrifié la mise au point de ses nouvelles collections. La ligne globale est dessinée entre Florence et Los Angeles.
Priorité : l'Asie
Pour assurer totalement la sortie de crise, les Marciano entendent mettre le paquet sur l'Asie. Guess a commencé il y a une dizaine d'années à s'implanter en Chine. La marque totalise 70 boutiques et compte en ouvrir autant chaque année. "La Chine est un marché prometteur, même s'il est délicat à approcher. Tout va très vite", dit Paul Marciano. ll rêve de faire aussi bien qu'en Corée. Dans ce pays, avec ses 150 boutiques, Guess est la marque de mode étrangère la plus présente. Il a multiplié son chiffre d'affaires par 4 en quatre ans.
Une prospérité qui fait des envieux. Guess est régulièrement approché par d'éventuels acheteurs, mais, pour l'heure, Paul et Maurice Marciano ne veulent pas lâcher leurs 33 %... Une formidable réussite pour Paul, qui a quitté l'école à 15 ans à cause d'un accident de moto. Ce dont il est le plus fier, c'est d'être citoyen américain. Quinze jours après le 11 septembre 2001, choqué de voir l'Amérique qui l'a accueilli à bras ouverts être attaquée de la sorte, Paul demande la nationalité américaine. Son rêve américain à lui, il ne faut pas y toucher.

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